La route qui mène au poste-frontière d’Halmeu pour passer de l’Ukraine à la Roumanie reste certainement la plus mauvaise que nous ayons empruntée depuis notre départ. Je ne sais même pas si le qualificatif de route s’applique encore pour ce genre de chemin. On ne peut plus vraiment parler de nids de poule, cela ressemble plus à un espace lunaire rempli de cratères ou à un champ de mines. Question sécurité, aucun problème. C’est la première fois que nous pouvons presque doubler les voitures aussi gênées que nous à essayer d’éviter ces trous béants. Nous mettrons finalement plus de deux heures pour avaler dix petits kilomètres avec les enfants chahutés dans la remorque.
Nous nous sommes dit avec Sandrine qu’ils avaient dû laisser la voirie dans cet état pour dissuader les Ukrainiens de se rendre en Europe. Nous apprendrons plus-tard que la Roumanie ne fait pas partie de l’Espace Schengen. Par conséquent, les passages de frontière s’effectuent surtout depuis la Hongrie.
Arrivé le premier devant le douanier, heureux d’en avoir fini avec ce tronçon défoncé, je m’arme du plus beau sourire et pour toute réponse, le fonctionnaire m’adresse un « Niet Bicyclette » qui me laisse perplexe. Il nous explique en ukrainien que le seul passage autorisé pour les vélos se situe en Hongrie, à une trentaine de kilomètres à peine, mais nous ne voulons pas vraiment faire demi-tour et cela nous retarderait de quelques jours.
Heureusement, nous avions lu quelques jours plus tôt sur Internet que la même aventure était arrivée à un autre cycliste. Il avait fini par traverser en se faisant embarquer dans une voiture. Nous avons attendu sagement sur le bord de la route qu’un des douaniers nous propose cette solution, ce qui n’a pas tardé. Nous avons fait le pied de grue, en espérant voir apparaître au loin, un véhicule suffisamment grand pour accueillir notre chargement. Au bout d’une heure, une fourgonnette noire s’est présentée. Le chauffeur a gentiment accepté de nous transporter de l’autre côté de la frontière. Ce fut un peu compliqué, mais les douaniers désireux de nous voir disparaître au plus vite se sont arrangés pour que tout rentre en forçant un peu. Sandrine s’est retrouvée devant avec Yanaël sur les genoux. Pour ma part, ce fut derrière avec Elouan, mais sans sièges pour nous asseoir. Nous avons franchi la zone rouge, là où commencent les contrôles frontaliers et les visages jusqu’ici plutôt sympathiques des fonctionnaires ont laissé place à des figures fermées et des regards suspicieux. Notre chauffeur avait l’air un peu tendu. Il a pris nos passeports et sorti quelques billets de son portefeuille qu’il a glissés dans le sien. Nous avons un peu halluciné, mais graisser la patte des douaniers semble être monnaie courante dans cette porte d’entrée vers l’Union européenne.
Au final, tout s’est bien passé. Nous sommes arrivés en Roumanie vers 18 h et notre chauffeur nous a laissés au bord de la chaussée et aidés à décharger notre matériel.
Nous étions un peu tristes. L’Ukraine nous avait offert un voyage dans le temps. Ces premiers jours en Roumanie nous ont ramenés à la triste réalité d’un monde moderne. Adieu Ladas, routes défoncées, charrettes et dépaysement. Ici, les routes sont neuves et empruntées par de grosses voitures. Les champs de maïs se succèdent à perte de vue et défigurent la campagne. Ça sent bon la prospérité, merci l’Europe, merci FEDER (Fonds Européen de développement régional).
Nous sommes restés deux jours à Satu Mare à 50 kilomètres de la frontière. Nous sommes repartis samedi 31 août, jour de l’anniversaire de Sandrine qui se voyait mal fêter ces 32 ans dans cette ville un peu déprimante. En quête d’un restaurant, nous avons finalement atterri dans un champ de maïs dans la lointaine banlieue à manger des croquettes de poulet. Un anniversaire qui restera certainement dans les annales.
Nous entamions le mois de septembre légèrement déprimé. Les choses se sont pourtant rapidement améliorées et depuis une semaine, chaque jour nous apporte notre dose de joie et de béatitude.
Nous avons quitté les routes principales et avons suivi les plus petites pour nous perdre un peu dans les Maramures. Les champs de maïs ont fait place à de jolies collines et à des pâturages à perte de vue. Nous profitons d’étendues sauvages peuplées de moutons et de bergers installés là pour la transhumance. L’un d’entre eux nous a proposé de passer la nuit sous une petite pergola alors qu’un orage approchait. Un abri sous les arbres installé par la mairie, qui nous a permis d’être au sec. Notre berger et son troupeau sont revenus nous voir dans la soirée. Il nous a proposé du lait, a pris une de nos tasses, a trait sa chèvre et nous l’a redonnée remplie à ras bord. Un vrai délice.
Deux jours plus tard, nous avons fait halte dans un petit village à l’heure du déjeuner. La toute petite épicerie débordait de monde et comme souvent, notre attelage a vite attiré le regard des gens adossés sur le bord de la clôture. Des gitans sont d’abord venus nous parler. Ils travaillaient dans le commerce du métal et repartaient en France d’ici quelques semaines. Puis, un jeune homme parlant français nous a invité chez lui pour prendre une douche et nous reposer. Peu fatigués et vu l’heure, nous avons décliné son offre. Une heure plus tard, à peine repartis, il est repassé devant nous en voiture et nous a proposé de venir prendre un café. Nous l’avons alors suivi jusque la maison de ses beaux-parents. Nous avons passé le reste de l’après-midi en compagnie de cette adorable famille. La table s’est vite chargée de victuailles et nous avons passé un moment très agréable. Roxanna et son mari habitent la région parisienne depuis 4 ans. Nous avons pu longuement échanger avec eux. Comme en Pologne, la Roumanie voit ses enfants quitter le Pays pour tenter leur chance à l’Ouest. Il semble que cela soit un peu difficile. Comme le dit si bien Roxanna, l’idéal serait de travailler en France et d’habiter en Roumanie. Nous sommes repartis les sacoches chargées de produits fait maison et notamment 1,5 l de palonca (alcool de prune) qui va nous tenir au chaud cet automne.
Mercredi, nous avons continué notre route vers Cluj-Napoca et avons encore une fois profité de beaux paysages. Nous grimpons et descendons ces montagnes toute la journée. C’est un peu usant, mais c’est aussi tellement grisant quand on arrive au sommet et que nous pouvons profiter du panorama souvent grandiose. Le soir, alors que nous cherchions un endroit pour mettre la tente, un couple de quinquagénaires nous a offert une chambre dans leur petite maison. Encore une fois, nous avons été gâtés. La dame s’est occupée des enfants, nous a servi à manger, elle m’a même aidé à laver Yanaël. Nous avons eu droit à une vraie leçon de comment vivre en autonomie à la campagne. Une vraie petite ferme avec poules, vaches et cochons qui leur permet de manger tout au long de l’année. Ils cultivent également 11 hectares surtout pour les céréales essentiellement destinées aux animaux. Bien évidemment, le pain est réalisé sur place. Ils vont même un peu plus loin puisqu’ils font pousser leur blé et font leur propre farine. Avec tout cela, ils trouvent encore le temps d’aller visiter leurs enfants exilés aux quatre coins de l’Europe.
Finalement, nous sommes arrivés à Cluj jeudi soir un peu exténués après 9 jours à rouler sans véritable pause. Sans camping à l’horizon, un peu exténués après les 56 kilomètres avalés dans la journée, Sandrine était prête à nous payer l’hôtel. Mais elle ne sort pas si facilement que ça l’argent de ses poches. Elle a remarqué une église avec un beau jardin et a tenté sa chance pour savoir si nous pouvions y mettre la tente. Demande acceptée à notre plus grande joie.
Le soir, la femme du prêtre, Codruta, est venue nous apporter des fruits et des légumes. Le lendemain matin, elle est revenue avec un délicieux petit déjeuner et nous a ouvert en grand les portes de sa maison. Après les douches et la machine à laver, elle nous a offert un succulent repas et nous avons passé le reste de l’après-midi à discuter. En fin de journée, nous voyant un peu découragés de reprendre la route, ils nous ont proposé de dormir chez eux. Encore une fois, nous avons passé une excellente soirée. Liviu a étudié deux ans à l’institut catholique de Paris. En plus d’être prêtre, il est professeur de théologie et parle un français châtié. Codruta est enseignante dans une école maternelle. Elouan a passé une excellente journée, il a pu s’amuser avec Timothée, leur adorable petit garçon de 2 ans. Nous sommes repartis de chez eux, tout revigorés, le cœur rempli par cette belle rencontre.
Notre passage à Cluj était aussi l’occasion de pouvoir faire quelques emplettes et trouver le matériel qu’il nous manquait. Alors que nous étions devant le Decathlon, un couple est spontanément venu nous parler et nous a offert de rester dans un de leur appartement vacant. Nous profitons donc depuis samedi du confort d’un habitacle de béton au 8e étage d’une tour à deux kilomètres du centre-ville. Nous apprendrons finalement que Stefan est le président du club de cyclotourisme de Cluj. Il a à son actif la traversée de l’Amérique du Sud et d’une partie de l’Afrique. Il parle 7 langues et s’exprime dans un français coloré par un léger accent africain, fruit d’un séjour de 3 ans au Congo. Diane sa compagne est burundaise et habite en Roumanie depuis un an.
Que dire d’autre. Comme tant d’autres cyclistes, nous sommes sous le charme de ce beau pays de montagnes et de ces gens si chaleureux et généreux. Il est vraiment triste de voir à quel point les Roumains jouissent d’une mauvaise réputation en Europe de l’Ouest à cause des tziganes trop souvent associés à la Roumanie. Pour preuve, Liviu nous racontait qu’à Paris il n’osait plus dire qu’il était roumain, les gens changeant d’attitude à chaque fois qu’il le mentionnait.
Depuis le 2 septembre, nous aurons dormi deux fois dans la tente. Nous profitons agréablement de cette parenthèse pour recharger les batteries. La famille cycliste est un peu malade. Je suis le seul rescapé d’une épidémie de grippe. Nous savons aussi que le retour sur la route va être difficile. Nous avons rarement séjourné deux jours de suite à l’intérieur et on s’habitue vite au confort d’un appartement. Le retour au petit matin frisquet en sortant de la tente risque de nous plomber un peu le moral. En attendant, on en profite, nous verrons bien ce que la suite nous réserve.
Ronan
Quel plaisir de lire le récit de votre voyage.
Il nous souffle l’air frais et le vent des montagnes, il exhale l’odeur de la pluie sur le bitume, il sent les fleurs des champs et les vêtements trempés. Il nous montre à voir vos paysages, les visages, les regards rencontrés, il nous met en contact avec la réalité de votre voyage, de la route avalée, des bivouacs improvisés et des joies d’être accueillis chez l’habitant. On goûte le lait de chèvre frais (moi, j’aime pas perso); l’alcool du coin ( ça je préfère ), la douleur du ventre vide, le repos des jambes tétanisées. On entends les cloches et les coqs vous réveiller au petit matin, les langues et les accents nombreux, les pleurs et les rires de vos enfants…la tolérance, le courage, l’amour,
Et on comprends pourquoi vous faites ce voyage…
Mais pourquoi à vélo….enfin !…. alors qu’il y a ça !
Ah, les Carpates ! Paysages grandioses, population courageuse et attachante. Les semaines à venir promettent des expériences inoubliables.
Mais comment faire lorsque la jante se voile ou que le pédalier se rompt, à cent kilomètres du premier magasin de cycles ? Pour éviter à nos courageux cyclistes l’embarras de finir leurs étapes à pied ou de planter la tente à 2000m d’altitude, Écovélo a décidé de se joindre à La Pédale en Folie et à tous les généreux soutiens de nos amis.
Nous vous offrons une solution de secours exceptionnelle. Légère et peu encombrante, elle vous permettra de poursuivre votre route quelque soit la panne qui vous accable, et vous apportera la garantie d’atteindre le premier magasin spécialisé* : http://i.imgur.com/wgjhSfw.gif
Bonne route, avec Écovélo.
* Offre gratuite et sans obligation d’achat, à retirer chez notre partenaire roumain, Ecociclu, à Bucarest.
Coucou Elouan,
On a bien reçu ta carte, merci beaucoup, elle est très jolie.
Est-ce que tu as trouvé des copains pendant ton séjour en Roumanie?
Tu t’amuses bien avec Yanäel ? Est-ce que le lait de chèvre était bon?
Pour répondre à tes questions, Morgane a bientôt 7 ans et moi j’ai bientôt 9 ans.
Ce week-end on fait la crantée.
Gros Bisous
Kelig