Forcément, quand on ne prend pas le temps de mettre à jour ses notes de voyage de façon régulière, on se retrouve à devoir raconter tout un tas de péripéties qui jalonnent la vie bien remplie d’un aventurier.
J’avais donc commencé par écrire un texte qui aurait bien fini par atteindre une dizaine de pages où je racontais notamment que nous avions perdu notre gourde à Sitia puis un panettone accroché à l’arrière du chariot (après les fêtes, ils bradent cette pâtisserie délicieuse).
Mais voilà une fois le texte mis à l’approbation du comité de rédaction, il fut rejeté. La rédactrice en chef considérait que je m’égarais en digression et que si je voulais garder le lecteur en haleine et mon poste, il fallait que j’aille à l’essentiel.
Je décidais donc de revoir ma copie et de me concentrer sur les faits les plus remarquables de notre voyage. Notre première semaine se résumerait donc de la manière suivante : nous avons redécouvert les joies de la pluie, appris que la Crète en plus d’être une île était surtout une montagne qui se jetait dans la mer, découvert que les cartes données gratuitement dans les agences de voyages n’étaient pas toujours précises et bien d’autres choses encore.
De Sitia où nous débarquâmes dimanche 26 janvier, nous primes la direction de Ierapetra situé à 70km de là sur la côte sud de l’île. Le nord comme nous nous y attendions ne suscita pas en nous un profond enthousiasme. Nous découvrîmes par contre l’intérieur du pays, ayant choisi un itinéraire plutôt direct qui empruntait une belle petite route de montagne à l’abri de la circulation. Après une nuit très fraîche (certainement autour de 4 degrés) à plus de 400 m d’altitude, entre des oliviers, sur une belle petite plate-forme recouverte de feuilles de trèfles, nous avons fait trente kilomètres au soleil, sans un souffle de vent et avons rejoint tranquillement Koutsouras où nous avons pu admirer la mer de Libye. L’Afrique n’était plus très loin.
À Ierapetra, nous avions rendez-vous avec Stravros qui nous offrait l’hospitalité pour deux nuits.
Stravros est membre du réseau d’hospitalité entre cyclistes Warmshower. Il n’est pas très adepte du vélo, mais a décidé de devenir membre depuis que ses deux enfants ont réalisé un voyage à vélo en Amérique du Sud.
N’ayant pu prévenir notre hôte de l’heure exacte de notre arrivée, nous nous sommes pointés chez lui quand nous avons jugé qu’il n’était ni trop tôt ni trop tard. Cependant, nous avons dû le réveiller de sa sieste et c’est certainement pour cette raison que nous ne l’avons pas trouvé particulièrement sympathique au premier abord. La soixantaine bien tassée, assez corpulent, le visage fermé, il nous a montré la petite pièce du haut, un peu mal à l’aise. Il était inquiet pour les enfants à cause du petit escalier très pentu et ne savait pas si l’endroit était assez grand. Nous avons tôt fait de le rassurer, c’était plus qu’il nous en fallait. Une pièce avec trois petits lits, dont deux superposés, un plafond et un plancher en bois, une grande terrasse en béton.
Les deux jours passés en sa compagnie ont été à la fois simples, bizarres et très intéressants. Simples parce qu’il a plus ou moins continué à vivre sa vie comme si nous n’étions pas là, allant ici et là, sortant promener le chien, faisant les courses, rendant visite à ses amis et nous laissant du temps pour nos occupations. Bizarres parce que nous ne nous sentions pas toujours à l’aise, nous avions parfois l’impression de le déranger, il semblait à la fois disponible et distant. Il faut dire que la présence d’une famille avec des enfants devait bouleverser son quotidien.
Nous avons par contre appris beaucoup de choses sur la Grèce et sur la crise qui l’a touchée en 2009-2010. Personnellement, je ne connaissais pas trop les mécanismes qui ont conduit la Grèce à la faillite et Stravros en bon professeur nous a expliqué tout cela de manière simple et concise.
Grosso modo, la Grèce est un piètre comptable. Dans bon nombre de pays que nous avons traversés, les gens nous ont parlé de la corruption qui touchait l’exécutif. En Grèce, le problème est tout autre. La faillite grecque est une responsabilité partagée entre le laxisme de l’état et la fraude avérée des contribuables. Il nous a raconté que des gens se pointaient dans les pharmacies avec des feuilles remplies de vignettes que l’on trouve sur les boîtes de médicaments pour le remboursement. Des feuilles qu’ils imprimaient et qu’ils vendaient à bas prix aux pharmaciens qui pouvaient ensuite se les faire rembourser par le système d’assurance médicale. Dans les magasins, aucune comptabilité et de fausses déclarations de TVA. Depuis peu, une loi a été votée qui oblige les commerçants à donner des tickets de caisse aux clients sous peine d’amende. Cela semble porter ses fruits. Le problème reste cependant entier, les politiciens n’ont pas changé, les instances européennes obligent les dirigeants à prendre des mesures pour remettre la Grèce sur de bons rails. Stravros nous disait encore qu’un journaliste avait demandé à la ministre de l’Éducation combien il y avait de professeurs en Grèce. Elle fut incapable de répondre, aucun registre ne comptabilisant le nombre de fonctionnaires. De même, la taxe d’habitation existe depuis bien longtemps, mais personne ne la payait. Cette année, l’état a décidé de la faire apparaître sur les factures d’électricité et sans paiement, l’électricité est coupée.
Cette crise est cependant loin d’être résolue. Il faudra certainement des années pour renflouer les caisses de l’état qui continue d’emprunter de l’argent à des taux élevés auprès des instances européennes et des décennies pour changer les mentalités.
Après la crise, Stravros nous a également fait découvert un pan de la cuisine crétoise, savoureuse et s’est mis en tête de nous rendre spécialistes de la musique grecque. De retour d’une virée nocturne, il nous a fait écouter pendant deux heures de la musique grecque traditionnelle. Je n’avais qu’une envie, aller me coucher.
Alors que nous avions l’impression de le déranger depuis la veille, je crois que Stravros était finalement bien content de nous avoir avec lui. Nous aurions certainement gagné à rester plus longtemps et il a même paru un peu déçu de nous voir partir dimanche matin.
Peu après notre départ, la pluie a refait son apparition. Elle n’allait pas vraiment nous quitter pendant les cinq jours qui suivirent.
De Ierapetra, nous avons roulé une vingtaine de kilomètres jusqu’à Myrtos. De là, nous avions deux choix, continuer sur la route principale qui s’enfonçait dans les montagnes ou suivre une piste qui longeait plus ou moins le bord de mer. Dans une taverne, nous demandions leur avis aux clients qui nous répondirent que la piste serait certainement impraticable pour nos vélos. Indécis, nous décidâmes finalement de rester à Myrtos pour la nuit.
Nous avions vu au bord de la mer, un petit restaurant fermé pour l’hiver. Juste à côté, une terrasse couverte qui pourrait nous servir d’abri en cas d’intempéries et avons décidé de nous y installer.
Lorsqu’il a recommencé à pleuvoir, nous nous sommes finalement rendu compte que le toit de l’auvent était fait de feuilles de palmiers et qu’il n’était par conséquent pas du tout étanche. Pire, vu que nous étions sur une dalle en béton, l’eau ne pouvait même pas s’écouler. C’est un peu comme si nous avions planté la tente dans une flaque d’eau. En nous couchant, nous avons constaté que les bords des sacs de couchage étaient trempés tout comme le sol de la tente. Du travail de pro.
La nuit ne fut finalement pas si terrible. Les sacs de couchage ont fini par sécher à la chaleur de nos corps et nous avons profité d’une matinée venteuse et ensoleillée pour tout faire sécher. Avant de repartir, nous avons rencontré Alain. Il nous apprit finalement que la piste longeant la mer était tout à fait praticable et nous décidâmes de la suivre.
Alain est un vieux baroudeur français qui voyage en camion aménagé. Professeur à la retraite, il part tous les ans pour les mois d’hiver et descend dans des contrées plus chaudes que ses Vosges. Ancien cyclovoyageur, il transporte maintenant son vélo dans son camion et se paie de belles balades à chaque étape. Il nous a expliqué qu’il essaie de se faire un camping toutes les trois semaines, histoire de se faire une bonne lessive et de se prendre une bonne douche.
Avec notre rythme d’un à deux hôtels par semaine, nous avons maintenant la certitude d’être des bourgeois dans le petit monde des voyageurs. Andrew et Matt, les cyclistes anglais que nous avons croisés en Turquie ne devaient pas s’arrêter souvent à l’hôtel avec leur budget de 2€ par jour. Cependant, vu les prix pratiqués en Grèce, nous allons devoir espacer ses arrêts et faire preuve d’un peu plus d’ingéniosité pour nous laver.
3 – 13 février : Myrtos – Matala – Iraklion
Après Myrtos, la piste censée longer le bord de mer s’est finalement avérée assez pentue et nous faisait monter de 200m d’altitude avant de redescendre vers la mer.
L’épisode séchage à Myrtos nous ayant pris toute la matinée, nous n’avons roulé que 7 kilomètres lundi pour atteindre le village suivant. Nous avons comme la veille profité d’une terrasse (cette fois bien) couverte pour se protéger du mauvais temps.
Le lendemain, il a plu presque toute la journée. En début d’après-midi, passablement trempés, nous nous sommes faits hélés par une dame dans une petite « Tabepna » de bord de route. Elle nous a demandé d’où nous venions et nous a invités à prendre un café. Nous étions en compagnie de ce couple de tenanciers, d’un français nommé Richard, quasi-SDF, vivant en Crète depuis vingt ans. Barbe et cheveux longs, complètement édenté, il nous a expliqué qu’il faisait des petits boulots pour survivre. Mais il ne semblait pas avoir de gros moyens puisqu’il est reparti du restaurant avec un bout de pain et une brochette qu’ils lui ont donné, avant d’avoir vidé les mégots des cendriers pour se refaire une petite roulée chez lui. Parti depuis longtemps et sans contact avec la France, il est en manque de littérature. Il a lu et relu ses quelques livres à « en avoir la nausée ». Nous en avons donc profité pour lui donner trois de nos livres que nous avons lus et qui nous encombraient déjà depuis un moment (la vingt-cinquième heure, Purge et les hommes ivres de Dieu). Il était tellement content que nous l’étions tout autant, satisfaits d’avoir gardé nos livres si longtemps et d’avoir trouvé une personne qui allait en profiter.
Il y avait également dans ce petit restaurant un remarquable personnage du nom de Giorgo, un géant roux qui a pris d’affection les enfants, surtout Yanaël, et l’a trimballé dans ses bras durant une bonne partie de l’après-midi. Il a offert un fanta à Elouan et du Raki pour les parents.
La petite cantine de Rodula et son mari a été montée à partir d’une ancienne serre à concombres. Cette partie de la Crète est recouverte d’énormes serres en plastique dans lesquelles poussent des milliers de tomates, concombres, et bananes. Le paysage en est défiguré depuis plus de soixante ans. Les grands rectangles blancs se découpent dans les vallées, les bords de mer et même à flanc de montagne. Le seul avantage sur le tourisme c’est que cette industrie est authentique et permet à des Crétois de gagner leur vie dans cette région, sans s’appuyer sur les visites étrangères. Cependant, depuis quelque temps, les Grecs ont été remplacés par des Albanais et même des Afghans qui travaillent dans ses serres pour une bouchée de pain.
La pluie ayant repris de plus belle pendant que nous étions là et leur ayant expliqué que nous campions, ils nous ont proposé la pièce d’à côté, qui leur sert de lieu de stockage pour les congélateurs et les marchandises, mais aussi de lieu de sieste pour se reposer l’après-midi. Ils ont eu du mal à comprendre ce que nous faisions là. Sans travail, sans maison, en vélo avec des enfants. Elle a demandé si tout allait bien, si nous avions des problèmes, si nous avions besoin d’argent. Sandrine leur a répondu que nous ne manquions de rien et que nous n’étions pas dans la misère.
Après une douche dans une petite bassine de 10l, nous avons repris la route le lendemain sous un soleil éclatant. En prenant un peu d’altitude, Sandrine me fit remarquer que la lumière était très belle. Le ciel était très noir et orageux au loin.
Seulement voilà, le vent du sud nous a rapidement apporté ces nuages menaçants. Ça n’a pas loupé, la première averse est tombée vers 13h et la pluie nous a accompagnés pour le reste de la journée. Rebelote, retour à nos combinaisons de plongée.
En fin d’après-midi, Sandrine a remarqué une entrée de maison, ouverte sur le devant et totalement recouverte. Cela ressemblait à une entrée de garage, mais avec un joli sol en carrelage et des murs fraîchement peints. Lumineux, propre et protégé, cela nous semblait parfait. Nous nous sommes arrêtés et Sandrine est partie à la recherche des propriétaires pour s’enquérir de la possibilité d’y installer la tente. Elle est tombée sur un couple de vieux qui habitaient juste au-dessus. Ils nous ont invités à venir nous réfugier dans leur salle à manger et nous ont offert raki et fruits secs le temps pour nos vêtements de sécher au bord du poêle à bois.
Ils nous ont ensuite proposé de nous installer non pas dans le garage, mais sur la terrasse de la maison que nous avions repérée. Nous n’avons jamais compris si cette maison leur appartenait, mais nous étions très satisfaits et n’avons pas posé plus de questions. Nous avons installé nos petites affaires au sec et mangé sur la terrasse, avec les dernières lueurs du jour.
Le jeudi matin, nous avons repris la route jusqu’à Tsoutsouros et décidé de manger avant d’attaquer une belle ascension. Nous n’avions plus le choix, la piste- route longeant le bord de mer s’arrêtait là, nous devions rejoindre la route principale pour passer les montagnes. C’est alors que nous avons recroisé Alain qui nous cherchait depuis un moment déjà. Il nous a dit qu’il avait bien réfléchi et que ce serait quand même dommage qu’on se fasse chier à monter tout ça. Il nous a proposé de mettre les vélos et la remorque dans son camion et de nous déposer à Pirgos une fois les montagnes traversées.
Nous avons accepté avec joie et avons profité du reste de l’après-midi pour nous balader avec lui dans les montagnes avoisinantes. Une belle petite randonnée d’une heure et demie.
Le lendemain matin, nous avons chargé nos affaires dans la camionnette et pris la route de montagne en camion. Alain nous a laissés comme promis peu après Pirgos et nous nous sommes séparés en nous donnant rendez-vous à Matala d’ici quelques jours.
Matala. Ce nom évoque beaucoup de choses pour certains, nous n’en avions jamais entendu parler avant de mettre les pieds en Crète. Pour ceux qui ne connaissent pas la petite histoire, Matala était une halte incontournable pour ceux qui faisaient route vers le Népal et Katmandou dans les années 60. Nous ne savions pas trop à quoi nous attendre avant d’arriver là-bas. Nous nous sommes dit qu’on allait y jeter un œil pour voir comment c’était, nous y resterons 5 jours finalement.
Matala
Nous n’avons pas connu Matala en été et c’est peut-être pour cela que nous avons apprécié le lieu. Le site en lui-même est magnifique. Deux hautes falaises surplombent une belle plage de sable fin. L’une des deux falaises est creusée de grottes, en partie naturelles. Au néolithique ellesétaienthabitées. À l’époque romaine, les grottes servirent de tombeaux et les hippies de passage n’ont fait que réhabiliter ces habitats troglodytes. Elles offrent finalement une température clémente toute l’année, protègent de la pluie et du vent, que demander de plus.
Apparemment, Matala acquit une telle notoriété à la fin des années 60. quand l’ensemble des grottes était occupé, de nouvelles furent creusées pour abriter les nouveaux arrivants. Rapidement, des problèmes d’hygiène, de drogue ont conduit les autorités à évacuer les squatteurs et à classer les grottes en site archéologique. L’une des grottes est aujourd’hui murée. On raconte qu’elle se serait effondrée provoquant la mort d’une jeune Allemande. Difficile de faire la part du vrai et du faux dans les histoires que nous avons entendu sur Matala pendant ces quelques jours. Toujours est-il qu’une faune particulière continue à animer le lieu et nous avons eu droit à toute une galerie de portraits atypiques.
Nous avons rencontré 4 personnes qui vivent encore dans les grottes aux alentours. Patrick, installé dans l’une d’elles depuis 6 ans, avec qui nous avons longuement échangé. Christophe, un autre français venu passer l’hiver ici, un Tchèque et un musicien allemand en quête de sérénité y habitent également. Ce sont un peu les icônes de Matala et ils contribuent à entretenir le mythe. Quasi SDFs, ils survivent de petits boulots, les olives, la transhumance, des petits coups de mainà droite à gauche et profitent du passage continuel de touristes pour se faire payer à boire ou à manger.
Des personnages singuliers. Patrick, poli avec les touristes, rejette la société et traite ses congénères de squatteurs. Ivan, le tchèque, passe sa journée au bar et ressemble à s’y méprendre à Peter Orlovsky. Quand un client s’installe, il entame la conversation étant à peu près sûr de s’en sortir avec un verre gratuit.
Pendant notre court séjour, nous avons croisé une petite dizaine de camping-cars où de camions aménagés qui s’installent ici pour une nuit, quelques jours ou semaines. De belles rencontres qui nous font nous rendre compte que nous ne sommes pas les seuls sur la route.La dernière fois que nous en avions croisé autant de voyageurs, nous étions à Auschwitz, mais l’ambiance n’était pas tout à fait la même.
Nous avons quitté Matala jeudi pour nous rendre à Iraklion, en camion. Alain nous a encore une fois proposé de nous y emmener. Nous attendons sagement l’arrivée de nos amis pour découvrir l’ouest de l’île.
Bon d’accord vous avez eu la pluie, mais nous , les vieux, on l’a montée cette côte de Tsoutsouros à Pirgos !!!! Veinards, on s’en rappelle encore… bises
Ben nous, on sait se démerder.
BIses