Nous sommes arrivés au port commercial de Rhodes juste avant l’averse. Le ciel était noir derrière nous. Les gouttes ont commencé à tomber au moment où nous nous sommes engouffrés dans le ventre vide du bateau géant. Après avoir stationné les vélos sous l’escalier et sécurisé le tout en cas de roulis, une hôtesse nous a montré le chemin pour accéder au grand salon où nous avons passé tout le trajet. Une énorme salle entourée de fenêtres et munie de petites tables rondes avec sofas confortables. Au centre, un bar où des serveurs aux yeux cernés de fatigues proposaient des sandwichs, boissons et cafés de toutes sortes. Dans la salle, quelques autres couples et familles, dont celle d’un prêtre orthodoxe qui revenait de l’hôpital de Rhodes. Leur quatrième enfant y était né quelques jours auparavant. Avoir besoin de prendre un bateau pendant six heures pour aller accoucher (celui-ci ne passant que trois fois par semaine) remet les choses en perspective. C’est un peu plus compliqué que de dire « allez fonce chéri, le travail est commencé » lorsqu’on habite à quelques kilomètres de l’hôpital.
Cap à l’ouest
Prendre le bateau pour quitter Rhodes en allant vers l’ouest plutôt que vers l’est marque une page importante de notre voyage. Nous pensions revenir en Turquie après notre pause sur cette île. Nous savions que nous n’allions pas aller très loin puisque nous pensions surtout y prendre l’avion, mais il me restait un soupçon d’espoir quant à la possibilité de nous enfoncer un peu dans l’est de ce pays. Lorsque nous avions envisagé le voyage, nous rêvions d’atteindre la Géorgie, l’Iran, le Liban ou même la Jordanie pour y visiter des amis. Nous savons maintenant que ces pays feront partie d’un autre voyage. Notre changement de rythme, incluant notre besoin de nous arrêter davantage en cours de route, ne nous permettrait plus d’atteindre ces destinations avec le temps qu’il nous reste. Avant de quitter Nevers nous avons joué franc-jeu avec la CAF afin de partir l’esprit tranquille. Pour prétendre aux allocations familiales en voyage (incluant l’aide pour nous occuper de nos enfants en bas âge ou complément de libre choix d’activité), il faut être résidents français, donc détenir une adresse permanente, au moins six mois par année. En gardant l’appartement jusqu’en juillet l’année dernière nous étions bons pour 2013. Comme ces aides représentent plus du deux tiers de notre budget de voyage, nous allons sagement rentrer en France pour déclarer une nouvelle adresse en juin, et être dans les clous pour 2014. Les quelques mois de voyage restant nous serviront donc à rentrer tranquillement plutôt qu’à nous éloigner davantage. L’idée de faire une boucle me plaisait de toute façon depuis le départ. Rentrer à vélo plutôt qu’en avion était pour moi beaucoup plus fort, plus juste dans mon besoin d’une « chambre de décompression » que d’atterrir à Roissy avec les vélos, les sacoches et les enfants sous les bras en nous disant… et maintenant ?! J’espérais seulement que la boucle soit un peu plus grande…
Karpathos ou la montagne sur la mer
Aujourd’hui, je sais que nous avons pris la bonne décision. Notre séjour sur Karpathos restera certainement l’un des plus beaux de notre voyage, encore plus que celui sur la péninsule de Bozburun. Et au vu de mon enthousiasme pour cette dernière, je confirme que ce n’est pas peu dire ! L’île est une véritable montagne sortie de la mer. Si j’avais à réinventer la mythologie grecque, je dirais que l’île était une déesse d’une innommable beauté qu’un dieu bien possessif a voulu soustraire du regard des autres, de peur de se la faire voler. Il l’a donc recouverte d’un drap vert aux reflets argentés. Les flancs de montagnes escarpés se détachent les un des autres tels les plis d’un drapé, tout en ombre et en lumière, offrant de vertigineux points de vue sur de minuscules criques turquoises en contrebas.
Les deux ports de l’île étant desservis par bateau, nous sommes descendus à Diafani, au nord, pour rallier Karpathos, la capitale, quelque 50 kilomètres plus au sud. L’unique route du nord de l’île est une véritable piste cyclable. Nous avons croisé moins de cinq voitures par jour, sur un asphalte parfait . Un vrai rêve. Comme nous avions prévu de reprendre le bateau la semaine suivante, nous avions beaucoup de temps pour peu de kilomètres par jour, ce qui nous a permis de nous hisser tout en douceur sur les hauteurs, sans trop de fatigue, avec de bons moments de contemplation et d’arrêts. Le comble fut lorsque nous avons aperçu le village d’Olympos, littéralement accroché à la montagne, juste au pied d’un énorme pic rocheux. Nous avons laissé les vélos près de la route pour aller chercher à manger et explorer le village à pied. C’est le seul moyen de le faire de toute façon. Les rues sont de fins passages piétons, lorsque ce n’est pas de tous petits escaliers tortueux, jouant à cache-cache entre les maisons carrées aux toits plats, blanches ou de couleur ocre.
À part pour notre première nuit où nous avons failli nous prendre un gros orage, nous avons eu droit à de belles journées, un peu venteuses tout de même, nous forçant à trouver des endroits protégés pour monter notre camp. Nous savons que les hivers grecs peuvent être capricieux et assez humides. En plus du vent, souvent soutenu, il peut y avoir de violents orages accompagnés de fortes pluies. Cette réalité nous a incités à changer de stratégie concernant nos arrêts. Plutôt que d’aller systématiquement dans une pension suite à nos trois nuits de camping sauvage, nous profitons du beau temps pour camper et nous réfugions à l’intérieur lorsque les conditions se dégradent. Nous avons donc enchaîné, pour la première fois de notre voyage (qui a dit que nous étions des durs ?!…), huit nuits de camping sauvage. La douceur de l’air nous a permis de nous laver à l’extérieur, avec eau chauffée au brûleur à bois, s’il vous plaît, ou carrément dans la mer, rincés ensuite avec une gourde d’eau douce. Nous devons à Benoit et Gaëlle notre envie d’attaquer les îles grecques, ainsi que nous devons à Pierre et Fabienne leur débrouillardise pour se laver autrement qu’en allant dans un hébergement payant. Nous venons de franchir un cap important, notre autonomie et harmonie familiale s’en trouve évidemment bonifiée.
Il est vrai que notre ambiance de voyage n’est plus du tout comparable à celle des premiers mois. Pour différentes raisons, mais principalement parce que nous n’avons plus d’objectifs « temps pays » à atteindre, nous profitons davantage de nos envies et accordons plus de temps de jeux et de balades aux enfants. La présence de la mer a certainement quelque chose à y jouer. Les enfants en profitent aussi. Ils grandissent en beauté et en gaieté. Elouan n’est plus du tout jaloux de son petit frère et alors qu’il souhaitait ardemment s’en débarrasser au début, il nous répète maintenant qu’il serait bien triste s’il n’était pas là. Ils jouent bien ensemble. Les deux traversent des étapes importantes et différentes. Elouan sait que nous préparons le retour et de ce fait, le réclame moins. Il trouve dans notre cheminement physique matière à la réflexion et aux questionnements ; sur ce qu’il voit, mais également sur son avenir professionnel qu’il prépare déjà longuement. Au début du voyage, il souhaitait devenir caissier dans un supermarché, puis pompiste (?), ensuite ramasseur de déchets (dieu sait qu’il en a vu!). Notre arrivée sur la côte bulgare l’a fait s’intéresser au métier de plongeur (dans la mer), puis dernièrement à celui de capitaine de bateau et de pilote d’avion, bien sûr !
Yanaël quant à lui, découvre la marche et l’autonomie alimentaire. Il veut tenir sa cuillère et manger seul. C’est tout à fait normal, direz-vous ! Oui, oui, sauf que normalement ces choses s’apprennent dans une maison, avec chaise haute pour en mettre partout. En l’absence de ces objets fort utiles, ce sont nos vêtements et les siens qui font office de tablette. Je vous laisse imaginer dans quel état nous pouvons nous trouver quelquefois !
Et les Grecs ?
Si les Grecs étaient aussi gentils que les Turcs, nous serions au paradis. Ils ne seraient pas très contents d’entendre ça, mais pour l’instant la distance est bel et bien présente, certainement due au tourisme de masse qui nous enlève l’étonnement et la curiosité que nous suscitons majoritairement depuis la Pologne. Ce n’est pas que nous aimions à ce point nous faire remarquer, mais cela reste le meilleur moyen d’entrer en contact avec les gens et d’espérer pénétrer un peu plus en profondeur dans la culture contemporaine d’un pays. Nous devrons donc faire preuve de plus d’ingéniosité et d’initiatives pour rencontrer des Grecs.
Sandrine
Statistiques mises à jour
Statistiques | 1er mois | 2ème mois | 3ème mois | 4èe mois | 5ème mois | 6ème mois | 7ème mois | 8ème mois | 9ème mois | TOTAL | |
kms parcourus | 902 | 861 | 577 | 799 | 884 | 741 | 428 | 271 | 270 | 5733 | |
dénivelé ascendant | 6611 | 5179 | 3422 | 5283 | 5650 | 5229 | 5016 | 2609 | 4285 | 43284 | |
jours pédalés | 22 | 25 | 17 | 22 | 24 | 23 | 18 | 14 | 14 | 165 | |
kilomètres : jour pédalé | 41,00 | 34,44 | 33,94 | 36,32 | 36,83 | 32,22 | 23,80 | 15,03 | 19,29 | 34,75 | |
dépenses journalières | 26,64 € | 33,67 € | 25,70 € | 28,73 € | 24,29 € | 25,18 € | 33,70 € | 21,74 € | 28,76 € | 7 601,45 € | 27,64 € |
hébergement | % | ||||||||||
camping sauvage | 10 | 15 | 11 | 11 | 14 | 14 | 11 | 5 | 10 | 101 | 36,73% |
camping payant | 8 | 13 | 19 | 17 | 7 | 64 | 23,27% | ||||
Hôtel / pension | 0 | 3 | 8 | 5 | 8 | 4 | 28 | 10,18% | |||
Appart otel | 13 | 1 | 14 | 28 | 10,18% | ||||||
Nuit en bus | 1 | 1 | 0,36% | ||||||||
Vacance Travail | 10 | 10 | 3,64% | ||||||||
réseau d’hébergement | 7 | 3 | 2 | 12 | 4,36% | ||||||
invitations | 5 | 3 | 3 | 7 | 8 | 2 | 2 | 1 | 31 | 11,27% | |
30 | 31 | 30 | 31 | 31 | 30 | 31 | 30 | 31 | |||
TOTAL | 275 |
Salut les mollets!
Je vois bien là mon Ronan! Etablir les statistiques du voyage… Le boulot d’administrateur ne te manquerais pas?
En tout cas ,tu as bien choisi ton successeur , il est encore un peu stressé , mais çà va s’arranger… Dans le cas contraire , il partira surement en vélo, lui et sa petite famille. C est peut-être un pacte entre administrateur? L’un revient et passe le relais à l’autre?…
J ai repris la nage et me suis choppé deux superbes crampes simultanées aux mollets ( au bout de deux petits kilomètres!) Je suis sûr de repartir un jour , mais toujours en camion!
Bisettes à Sandrine qui respire la santé, à Elouan qui a du voir fondre ses joues, au petit Yanaél qui connaitra un jour les joies de la table , et à toi Ronan qui à su ne pas abimer cette belle chemise que je connais tant.
Bien content que vous ayez trouvé un beau point de chute.
Profitez bien. On vous embrasse
je commente peu, je sais, mais c’est parce que vous avez passé trop de temps chez les roumains (et assimilés, dans ma tête) et que moi, je suis plutôt soleil, mer, bikini, poissons clowns. Comme Darini me met la pression avec ses commentaires sympas, je vais devoir me plier à la règle et dire des trucs sympas (que je pense, mais qu’une pudeur congénitale m’empêche d’exprimer). Donc : vous êtes super swagg, on ne dirait même pas que vous servez de bavoirs vivants au plus petits de vos humains, et votre aventure me rend presque jaloux de ne pas avoir un aussi bon coup de pédale (cette expression est géniale : « coup de pédale ») que Richard Virenque. J’ajouterai enfin que votre poutine me manque et qu’à votre retour, qui semble-t-il se prépare, il faudra qu’on pense à faire la fête à nos artères.
Je vous embrasse, vous et votre magie grecque (https://www.youtube.com/watch?v=izGwDsrQ1eQ)
Toutes ces montagnes me donnent envie de grimper en haut!!!!!! A très très très très bientôt!!!!!
Swanee
Salut à la petite famille, profitez, amusez-vous, nous sommes sur le chemin du retour, passez en Sicile si vous le pouvez, c’est joli et les Siciliens sont sympas!
9 mois déjà ! Vous accouchez d’un bien beau voyage ! Et comme on le sait, ça vous tient toute une vie.
Lui aussi, vous l’avez bien nourri et fait grandir avec ce que vous êtes tous les 4. C’est un magnifique « bébé ».
Gros bisous à vous 4.